HAMMOND, John (1843-1939)
La vie de certains tient plus du romand que de la biographie. C’est le cas de John Hammond, né à Montréal en 1843, qui a vécu près d’un siècle tout en peignant une multitude de tableaux et en parcourant la terre en tous sens. Sa manière de vivre et les nombreux endroits qu’il a visités font qu’il est impossible de considérer son œuvre sans évoquer ses pérégrinations.
Suivant la tradition, toujours vivace, la plupart de nos artistes allaient en Europe (c’est toujours l’Europe ou encore New-York) pour parfaire leur instruction. Ce que firent Lyman, Franchère, Borduas, Morrice, Suzor-Côté, pour n’en nommer que quelques-uns. Tout ce monde-là est sédentaire comparé à Hammond.
À l’âge de neuf ans, Hammond travaillait déjà pour son père, marbrier, à qui il répugnait d’engager des mains étrangères. À 11 ans, notre homme décide qu’il serait artiste-peintre. Deux ans plus tard, il s’engage dans un régiment surnommé « Les favors de ces dames » pour aller combattre les Fenians, membres de la Fraternité Irlandaise républicaine aux Etats-Unis, qui luttaient pour l’indépendance de l’Irlande et s’attaquaient à l’Angleterre via le Canada… Quelques mois plus tard, il part pour Londres, accompagné de son frère cadet, à bord du Peruvian. Il y demeure un temps, puis s’embarque sur le voilier Mermaid à destination de la Nouvelle-Zélande. Le voyage dure quatre mois! Ce qui les attirait, lui et son frère, c’était une « ruée vers l’or », le pays étant censé regorger de ce métal précieux. Arrivés à Christchurch, les deux frères marchèrent sur une distance de près de 200 kilomètres jusqu’au fictif Eldorado.
En 1869, après deux ans et demi de labeur sans profit, notre épris d’aventures prit le bateau pour revenir à Montréal. Mais ce ne fut pas pour longtemps, ayant à nouveau des fourmis dans les jambes. Il travaillait chez Notman, le célèbre photographe de la Métropole, où il transformait des photographies en petits tableaux en y ajoutant de la couleur. Or, les Service d’études géologiques du Canada cherchait des hommes pour faire de la recherche afin de construire une voie ferrée entre l’Ontario et le Pacifique, et s’était adressé à Notman. Ce dernier lui en fournit deux : Hammond fut choisi à titre d’assistant de Benjamin Baltzly. Les deux partirent avec une des trois équipes à destination des rocheuses. L’équipe de Hammond fut la seule à atteindre son objectif. La ligne établie alors est depuis empruntée par le Canadien National. Des pertes et des difficultés sans nombre – surtout d’ordre climatique et topographique – s’ajoutèrent aux problèmes de transport (chevaux et mules) et transformèrent l’entreprise en véritable odyssée. Hammond et trois compagnons réussirent à se rendre au comptoir de Kamloops, dans un état pitoyable. Longtemps coupés de contacts avec la civilisation, ils devaient apprendre que durant leur périple, la guerre avait éclaté entre la France et la Prusse, et que Chicago avait été ravagé par un incendie.
De retour à Montréal, Hammond travaille chez Sandham, Fraser, Weston & Sharpe.
En 1885, on le retrouve en Europe mais, durant les années précédentes, il peint de nombreux portraits au Canada et aux Etats-Unis. Il faut se rappeler qu’à l’époque, le marché de la peinture se réduisait au portrait et à l’art religieux. En Europe, il rencontre le célèbre Whistler et le fils de Jean-François Millet, l’un des maîtres de l’École de Barbizon, et d’autres artistes. Profondément influencé par Whistler, il expose au prestigieux Salon de Paris et à l’Académie Royale de Londres, et visite de nombreux pays, notamment l’Italie, où il peint sans arrêt.
L’Impressionnisme était né en France. Cependant, Hammond et plusieurs autres peintres n’attachaient pas d’importance à la division du ton et à la prépondérance de la lumière. Suivant Whistler, ils se concentraient sur les tonalités, d’où les représentations de brumes et de brouillards, les jeux de nuages et de l’eau, et autres subtilités de l’atmosphère. Cette approche explique pourquoi, aujourd’hui, l’œuvre des Hammond, Dyonet, Brymner, Franchère, St-Charles et autres paraît peu « moderne ».
Durant les dernières années du XIXe siècle, Hammond allait multiplier les voyages en Europe et chez nos voisins du Sud; il expose à New York et dans d’autres métropoles pour se retrouver Dieu sait par quel concours de circonstances, à Canton, en Chine, où il faillit laisser sa peau, y arrivant en pleine guerre des Boxers.
Hammond redevient pèlerin. Il parcourt le Japon, toujours armé de sa palette. Un jour, après avoir reçu une commande du Canadien Pacifique, il part pour Londres afin d’y exécuter une murale dans les bureaux de cette entreprise. L’année suivante, il s’installe à St-John, N.B., où il a été nommé directeur de la Owens Art Institute. Naturellement, et sans doute à cause de l’influence de Whistler, il peint des scènes de port, de bateaux de pêche et de marines aux tons embués. Le port de St-John est à lui ce que Venise était pour Whistler.
Bien que peu connu des Québécois, Hammond avait une solide réputation auprès des milieux anglophones. Nommer quelques-uns de ses contemporains – Harry Rosemberg, Edward John Russell, etc.-, c’est faire allusion a une génération presque oubliée. Il reste que Hammond était devenu, en 1890, à l’âge de 47 ans, membre de l’académie royale des arts du Canada et qu’il dirigea pendant longtemps la Owens Art Institute, laquelle devint une faculté de l’Université Mount Allison, à Sackville, N.B., en 1907. C’est dans cette ville que Hammond passe le reste de ses jours, et où il est mort en 1939 à l’âge de 96 ans.
La production de Hammond est abondante. On retient surtout ses paysages de l’hémisphère boréal, qui vont des Rocheuses et de la côte Atlantique aux campagnes d’Asie, en passant par la Hollande et ses moulins, l’Italie – Venise, Veron, etc. -, la France champêtre et plusieurs pays aux couleurs particulières.
Les paysages de Hammond sont pleins de grands espaces et constituent de magnifiques études des variations de la lumière du jour rendues avec finesse et minutie. L’eau et tout ce qui s’y rattache y jour un rôle essentiel, ce qui se traduit par d’exquis dégradés et par des teintes presque évanescentes. On peut, sans exagérer, parler de classicisme et d’amour de la nature. Hammond a été le chef incontesté d’une génération d’artistes qui nous a fait, pour ainsi dire, découvrir le Canada et nous doter d’une riche tradition.
On ne louera jamais assez le mérite des Hammond, Verner, O’Brien, Fowler, Edson et autres. Si la peinture a existé ailleurs qu’au Québec et avant l’avènement de l’impressionnisme, c’est grâce à eux.
Paul Gladu (Magazin’Art, 10e Année, No 3, Printemps 1998)
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